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Avec la crise, les bains-douches ont retrouvé une utilité sociale

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Dans sa valise bleu marine en skaï, un pull, un jean et une paire de chaussettes résument une vie sans superflu. Avec grand soin, il peigne ses cheveux humides, avant de les asperger d’une lotion. Il prend son temps, comme s’il était seul dans sa salle de bains. Pourtant, autour de lui, un ballet incessant ne cesse de pousser, depuis 8 heures du matin, la porte des bains-douches municipaux de la rue des Haies à Paris (20e).

(Photo Nicolas Krief pour Le Monde)

Comme la plupart des établissements parisiens, le bâtiment, situé à deux pas du métro Buzenval, affiche une façade de céramique de 1928, aujourd’hui classée. A l’intérieur, deux rangées de cabines se font face, sur deux étages. En tout, quelque 50 douches spartiates, mais très propres. Pour des raisons d’hygiène, tout est carrelé en blanc du sol au plafond. Rénové en 2008, l’établissement de la rue des Haies, comme les 16 autres établissements parisien de bains-douches, offre la possibilité, cinq jours et demi par semaine, à des milliers de personnes de se doucher gratuitement.

Seuls les produits d’hygiène et le linge de toilette ne sont pas fournis. Avec près de 90.000 douches prises chaque année, la rue des Haies est l’un des trois bains-douches les plus fréquentés de Paris. Aujourd’hui, avec la crise, dans les quelques villes qui les ont conservés, ces établissements retrouvent plus que jamais leur utilité sociale. Et, loin de vouloir s’en débarrasser, les municipalités cherchent à les adapter, pour répondre à une fréquentation en hausse et à l’arrivée de nouveaux publics.

 

(Photo Nicolas Krief pour Le Monde)

Karim, 37 ans, rasé de près, cheveux mouillés, fait une petite pause sur les banquettes elles aussi carrelées de la salle d’attente. Algérien, sans papier, il vit en France depuis huit ans de petits boulots non déclarés. Depuis deux mois, il fréquente la rue des Haies deux jours par semaine. "Mon ballon d’eau chaude est en panne. Mon propriétaire ne veut pas le réparer et il fait trop froid pour se laver à l’eau froide", explique-t-il.

Sans papier, il n’a aucun moyen de pression sur son bailleur indélicat et doit "se débrouiller". Un peu plus loin, deux compatriotes, plus âgés, retraités du bâtiment, papotent. "Je vis dans une petite chambre de bonne équipée seulement d’un minuscule lavabo, alors ici c’est pratique et c’est propre", explique ce grand-père. "Mais je ne viens pas tout le temps car je suis souvent au pays et là-bas, j’ai une salle de bains", ajoute-t-il comme pour se justifier. "Même histoire", acquiesce son compagnon de causette.

(Photo Nicolas Krief pour Le Monde)

Ici, on ne s’attarde pas. "Les conversations se limitent souvent à un bonjour et un au revoir", confirme Alain Nedelec, responsable adjoint de la rue des Haies depuis cinq ans, après avoir travaillé dans deux autres établissements du 20e. "Malgré tout, il y a un peu de gêne à venir ici. A part quelques habitués qui se confient un peu, les gens restent discrets", poursuit ce Breton d’origine, ancien photograveur, "tombé" dans les bains-douches il y a seize ans, à la suite d’une reconversion professionnelle.

Comme dans tous les bains-douches de la capitale, l’accueil est inconditionnel, aucun justificatif n’est demandé. Mais les employés, souvent de longue date, comme M. Nedelec, ont acquis une connaissance des us et coutumes de leurs bains-douches par la simple observation. Ils savent les jours d’affluence et les petites entorses au règlement, comme le fait de profiter de la douche pour faire la lessive.

(Photo Nicolas Krief pour Le Monde)

Pour éviter les abus, la durée des ablutions est limitée à vingt minutes, mais, quand il n’y a pas foule, le personnel accorde un petit délai. Car ici, la préoccupation numéro un n’est pas la chasse aux resquilleurs mais aux microbes.

Au fil du temps, M.Nedelec a vu la typologie des usagers changer. "Autrefois, les ouvriers, les familles nombreuses, les petits retraités constituaient le gros de la clientèle. Aujourd’hui, nous avons des personnes beaucoup plus précaires, notamment des sans-abri", explique le responsable adjoint de l’établissement. S’y ajoutent ceux qui viennent là pour économiser quelques mètres cubes d’eau ou simplement pour rompre leur solitude, mais aussi quelques touristes.

(Photo Nicolas Krief pour Le Monde)

Il est midi. Un homme s’escrime à sécher sa serviette de toilette sous le sèche-cheveux mural. Dans la file d’attente qui s’est formée, la silhouette d’une femme chargée d’un panier paraît presque incongrue dans cet univers jusque-là essentiellement masculin. Karim se décide enfin à quitter sa banquette carrelée. Sous la coupole de l’entrée, il respire un grand coup, avant de s’engouffrer dans la rue, dans un sillage d’eau de toilette.


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